COMUNICATO STAMPA
Par un arrêt rendu à Strasbourg le jeudi 29 avril 1999 dans l’affaire T.W. c. Malte, la Cour européenne des Droits de l’Homme juge, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention européenne des Droits de l’Homme et qu’il ne s’impose pas d’examiner le grief fondé par le requérant sur l’article 5 § 4. Au titre de l’article 41, elle accorde à l’intéressé une certaine somme pour ses frais et dépens.
1. Principaux faits
Ressortissant britannique né en 1943, le requérant, M. T.W., réside dans la localité maltaise de Luqa.
Soupçonné d’attentat à la pudeur, l’intéressé fut arrêté puis traduit dans les quarante-huit heures devant un juge de police judiciaire. Il forma une demande de libération sous caution, qui fut communiquée à l’Attorney-General. Celui-ci conclut à son rejet. La demande fut alors examinée par un juge de police judiciaire qui n’était pas le même que celui devant lequel le requérant avait initialement comparu. Elle fut rejetée quatre jours après l’arrestation de l’intéressé. Celui-ci fut libéré quinze jours plus tard.
2. Procédure et composition de la Cour
La requête a été déposée devant la Commission européenne des Droits de l’Homme le 2 novembre 1994. Après l’avoir déclarée recevable, la Commission a adopté, le 4 mars 1998, un rapport dans lequel elle formule l’avis unanime qu’il y a eu violation de l’article 5 § 3 mais non de l’article 5 § 4. C’est le gouvernement maltais qui a porté l’affaire devant la Cour.
Conformément aux dispositions transitoires du Protocole n° 11 à la Convention, l’affaire a été transmise à la Grande Chambre de la nouvelle Cour européenne des Droits de l’Homme le 1er novembre 1998, date d’entrée en vigueur dudit Protocole.
L’arrêt a été rendu par une Grande Chambre composée de dix-sept juges.
3. Résumé de l’affaire
Griefs
Le requérant voit dans le fait qu’il ne fut pas traduit aussitôt devant un magistrat ayant le pouvoir de le libérer une violation de l’article 5 § 3 de la Convention européenne des Droits de l’Homme. Il allègue également que, contrairement à ce qu’exige l’article 5 § 4, il ne disposait d’aucun recours d’habeas corpus.
Décision de la Cour
L’exception préliminaire du Gouvernement
La Cour décide de joindre au fond l’exception préliminaire du Gouvernement, d’après lequel que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes puisqu’il n’a jamais cherché à invoquer l’article 137 du code pénal qui, conjointement avec l’article 353 du même code, constitue la base légale de la version maltaise de l’habeas corpus.
Article 5 § 3
La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle l’article 5 § 3 vise à garantir un contrôle juridictionnel rapide et automatique des placements en détention ordonnés conformément aux dispositions du paragraphe 1 c) de l’article 5. Le magistrat qui exerce ce contrôle doit entendre la personne détenue avant de prendre la décision appropriée.
La Cour souligne que l’article 5 § 3 oblige le magistrat à se pencher sur le bien-fondé de la détention. Elle juge également que le contrôle juridictionnel qu’exige cette disposition ne peut être rendu tributaire d’une demande formée au préalable par la personne détenue. Pareille exigence modifierait la nature de la garantie offerte par l’article 5 § 3, qui est distincte de celle prévue par l’article 5 § 4, d’après lequel la personne détenue a le droit d’inviter un tribunal à examiner la légalité de sa détention. Elle pourrait même la priver de sa substance, l’article 5 § 3 visant à protéger l’individu contre la détention arbitraire en exigeant que l’acte privatif de liberté puisse être soumis à un contrôle juridictionnel indépendant. Un contrôle judiciaire rapide de la détention constitue également pour l’individu objet de la mesure une garantie importante contre les mauvais traitements. Les personnes arrêtées ayant été soumises à pareils traitements pourraient se trouver dans l’impossibilité de saisir le juge d’une demande de contrôle de la légalité de leur détention. Il pourrait en aller de même pour d’autres catégories vulnérables de personnes arrêtées, telles celles atteintes d’une déficience mentale ou celles qui ne parlent pas la langue du magistrat.
La Cour partage l’avis des parties selon lequel la comparution du requérant devant un magistrat le lendemain de son arrestation peut passer pour avoir eu lieu " aussitôt ", au sens de l’article 5 § 3. D’après le Gouvernement, tout juge de police judiciaire a le pouvoir d’ordonner d’office la mise en liberté de la personne comparaissant devant lui si celle-ci est accusée d’infractions pour lesquelles la loi n’autorise pas le placement en détention. Toutefois, le contrôle automatique requis par l’article 5 § 3 va au-delà du seul aspect de la légalité cité par le Gouvernement. D’après la Cour, ce contrôle doit être suffisamment ample pour couvrir les diverses circonstances militant pour ou contre la détention.
Le Gouvernement soutient qu’en présentant une requête fondée sur l’article 137 du code pénal, le requérant aurait pu obtenir un contrôle de la légalité de sa détention allant au-delà de la question de savoir si les accusations dont il faisait l’objet autorisaient une détention. La Cour estime toutefois que le respect de l’article 5 § 3 ne peut être assuré par l’existence d’un recours du genre de celui exigé par l’article 5 § 4. De toute manière, il n’a pas été démontré que le contrôle intervenant à la suite d’une demande formée au titre de l’article 137 du code pénal soit d’une portée telle qu’il autorise un examen du bien-fondé de la détention. En conséquence, la Cour rejette l’exception préliminaire du Gouvernement.
La Cour considère de surcroît que la comparution du requérant devant le juge de police judiciaire le lendemain de son arrestation n’était pas apte à assurer le respect de l’article 5 § 3, puisque ledit magistrat n’avait pas le pouvoir d’ordonner la libération de l’intéressé. Elle juge donc qu’il y a eu violation de ladite clause. Pour être parvenue à cette conclusion, elle n’en partage pas moins l’avis du Gouvernement selon lequel la question de la libération sous caution est une question distincte, qui ne peut se poser que dans les cas d’arrestation et de détention régulières. Elle estime en conséquence ne pas avoir à l’examiner aux fins du grief tiré de l’article 5 § 3.
Article 5 § 4
La Cour note que les parties n’ont pas abordé cette question devant elle. Dès lors, et compte tenu également de sa conclusion au titre de l’article 5 § 3, elle ne juge pas nécessaire de se pencher sur le grief tiré de l’article 5 § 4.
Article 41
La Cour considère qu’eu égard aux circonstances particulières de l’espèce le constat d’une violation de l’article 5 § 3 représente en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral éventuellement souffert par le requérant. Elle alloue à l’intéressé 2600 lires maltaises pour ses frais et dépens.
Les juges Bonello, d’une part, et Tulkens et Casadevall, d’autre part, ont exprimé des opinions en partie dissidente, dont le texte se trouve joint à l’arrêt.