Corte Europea dei Diritti dell’Uomo, CASO ÇAKICI contro TURCHIA sentenza dell’08 luglio 1999 |
COMUNICATO STAMPA Par un arrêt rendu à Strasbourg le 8 juillet 1999 dans l’affaire Çakici c. Turquie, la Cour européenne des Droits de l’Homme dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 2 (droit à la vie) de la Convention européenne des Droits de l’Homme en raison du décès du frère du requérant, disparu après avoir été détenu par les forces de l’ordre, et de l’insuffisance de l’enquête menée par les autorités. En outre, la Cour dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 3 (interdiction de la torture, des peines ou traitements inhumains ou dégradants) en ce que Ahmet Çakici a été torturé pendant sa détention ; par quatorze voix contre trois, que la disparition en garde à vue d’Ahmet Çakici ne révèle pas de violation de l’article 3 dans le chef du requérant lui-même ; à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 5 (droit à la liberté) s’agissant de la détention non reconnue d’Ahmet Çakici dans l’absence totale des garanties requises par cette disposition ; par seize voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 13 (droit à un recours effectif) en ce que le requérant ne disposait pas d’un recours effectif pour exposer ces griefs. En outre, la Cour n’a constaté, à l’unanimité, aucune violation des articles 14 (interdiction de discrimination) et 18 (limitation de l’usage des restrictions aux droits). En vertu de l’article 41 (satisfaction équitable) de la Convention, la Cour alloue au requérant 11 534,29 livres sterling (GBP) pour dommage matériel, somme que le requérant détiendra pour la veuve et les héritiers de son frère (unanimité), 25 000 GBP pour dommage moral, somme que le requérant détiendra pour les héritiers de son frère (unanimité), 2 500 GBP au titre du dommage moral subi par le requérant (unanimité) et 20 000 GBP pour frais et dépens (douze voix contre cinq). 1. Principaux faits Le requérant, Izzet Çakici, ressortissant turc, est né en 1953 et vit à Diyarbakir, Turquie. La requête a été introduite au nom du requérant et en celui de son frère, Ahmet Çakici. Le 8 novembre 1993, des gendarmes de Hazro menèrent une opération dans le village de Çitlibahçe où vivait Ahmet Çakici. Ils recherchaient, notamment, des preuves de l’enlèvement et de l’assassinat par le PKK d’enseignants et d’un iman et toute personne ayant pu être associée à ces crimes. Lors d’une opération coordonnée, des gendarmes de Lice appréhendèrent trois personnes au village voisin de Baglan et les transférèrent le lendemain à la gendarmerie départementale de Diyarbakir. Le requérant et le Gouvernement ont exposé des versions différentes des événements en cause. Selon le requérant, les gendarmes de Hazro ont arrêté Ahmet Çakici lorsqu’ils sont venus à Çitlibahçe. Ils le ramenèrent à Hazro d’où il fut transféré à la gendarmerie départementale de Diyarbakir. Il y fut détenu seize ou dix-sept jours dans la même pièce que les trois personnes arrêtées à Baglan. L’une des trois, Mustafa Engin, indiqua après sa libération qu’Ahmet Çakici avait été battu, avait eu une côte cassée et une blessure ouverte à la tête. Selon ce témoin, Ahmet Çakici fut également emmené hors de la pièce pour être interrogé et soumis à des décharges électriques. Le requérant apprit plus tard par Hikmet Aksoy, qui avait été détenu à la gendarmerie de Kavaklibogaz, que son frère avait été transféré de la gendarmerie départementale de Diyarbakir à la gendarmerie de Hazro et de là, à Kavaklibogaz où il avait parlé à Hikmet Aksoy. Le requérant et sa famille ne reçurent plus aucune nouvelle d’Ahmet Çakici jusqu’à ce que le Gouvernement fournisse des informations pendant la procédure devant la Commission européenne des Droits de l’Homme. Selon le Gouvernement, Ahmet Çakici n’a pas été arrêté par les gendarmes lors de l’opération du 8 novembre 1993. Il se fonde pour l’affirmer sur les registres de garde à vue de la gendarmerie de Hazro et de la gendarmerie départementale de Diyarbakir, qui ne mentionnent rien concernant Ahmet Çakici. Pendant la procédure devant la Commission, le Gouvernement a fourni des informations selon lesquelles il lui avait été signalé que la carte d’identité d’Ahmet Çakici avait été retrouvée sur le cadavre de l’un des terroristes tués lors d’un affrontement avec les forces de l’ordre du 17 au 19 février 1995 sur la colline de Killibogan, district de Hani. Le 13 juin 1996, le procureur de Hazro déclina sa compétence concernant les allégations de disparition d’Ahmet Çakici : il estima, notamment, que la carte d’identité de l’intéressé avait été retrouvée sur le cadavre d’un terroriste et que cet élément confirmait qu’Ahmet Çakici était un terroriste. 2. Procédure et composition de la Cour La requête a été introduite devant la Commission européenne des Droits de l’Homme le 24 mai 1994. Après l’avoir déclarée recevable, la Commission a adopté, le 12 mars 1998, un rapport formulant l’avis qu’il y avait eu violation de l’article 2 de la Convention s’agissant de la disparition du frère du requérant (unanimité) ; de l’article 3 quant au frère du requérant (unanimité) ; de l’article 5 s’agissant de la disparition du frère du requérant (unanimité) ; de l’article 3 dans le chef du requérant (vingt-sept voix contre trois) ; de l’article 13 (unanimité) ; et qu’il n’y avait pas eu violation des articles 14 et 18 (unanimité). La Commission a saisi la Cour de cette affaire le 14 septembre 1998. Conformément aux dispositions transitoires du Protocole n° 11 à la Convention, l’affaire a été transmise à la Grande Chambre de la Cour européenne des Droits de l’Homme à la date d’entrée en vigueur du Protocole, le 1er novembre 1998. Une audience a eu lieu le 24 mars 1999. L’arrêt a été rendu par la Grande Chambre composée de 17 juges. Le requérant se plaint de violation des articles 2, 3, 5, 13, 14 et 18 de la Convention européenne des Droits de l’Homme. Décision de la Cour Appréciation des faits par la Cour La Cour a entériné l’établissement des faits auquel s’est livrée la Commission, qui a effectué en l’espèce des missions d’enquête. Il est dès lors établi que le frère du requérant avait été placé en détention par les forces de l’ordre le 8 novembre 1993, emmené à la gendarmerie de Hazro cette nuit-là, puis détenu à la gendarmerie départementale de Diyarbakir du 9 novembre au 2 décembre 1993 au moins, date à laquelle Mustafa Engin l’a vu pour la dernière fois. Il est établi aussi que, pendant sa détention, Ahmet Çakici a été battu, a eu une côte cassée, une blessure ouverte à la tête et a reçu par deux fois des décharges électriques. Malgré le rapport fait par la gendarmerie du district de Hazro, selon lequel la carte d’identité d’Ahmet Çakici a été retrouvée sur le cadavre d’un membre du PKK en février 1995, la Cour n’a reçu aucune preuve de l’identification du corps ou de la délivrance du permis d’inhumer et ne saurait considérer comme établi que c’est effectivement le corps d’Ahmet Çakici qui a été retrouvé, comme il a été allégué. La Cour relève que la tâche d’établissement des faits par la Commission a été d’autant plus difficile que le Gouvernement n’a pas donné aux délégués de la Commission l’occasion d’accéder aux originaux des registres de garde à vue, ni facilité la comparution devant ces délégués du témoin Hikmet Aksoy, ni assuré celle de deux fonctionnaires. La Cour estime que, pour l’efficacité du mécanisme de recours instauré à l’ancien article 25 de la Convention (aujourd’hui 34), il est de la plus haute importance que les Etats fournissent toutes facilités nécessaires pour permettre d’examiner efficacement les requêtes (ancien article 28 § 1 a) de la Convention, aujourd’hui remplacé par l’article 38). Elle constate dès lors que le Gouvernement ne s’est pas acquitté de cette obligation. Sur l’exception préliminaire soulevée par le Gouvernement La Cour rejette l’exception préliminaire du Gouvernement selon laquelle le requérant n’aurait pas épuisé les recours internes. Elle constate que le requérant et son père avaient adressé des demandes et posé des questions au procureur près la cour de sûreté de l’Etat sur la disparition d’Ahmet Çakici et, bien que les autorités aient été au courant de leurs soucis, elles n’ont absolument pas réagi. La Cour relève que, malgré les dépositions données par le requérant et l’épouse d’Ahmet Çakici qui confirmaient leurs allégations, les différents parquets n’ont pris aucune mesure hormis la recherche de mentions éventuelles sur les registres de garde à vue et l’obtention de deux brefs témoignages de Mustafa Engin. Le procureur n’a pas non plus vérifié l’information concernant la découverte du cadavre d’Ahmet Çakici. Dans ces conditions, le requérant a fait tout ce que l’on pouvait raisonnablement attendre de lui pour épuiser les recours internes. Sur l’article 2 de la Convention La Cour constate que la disparition d’Ahmet Çakici après sa mise en détention conduit, vu les circonstances, à présumer que l’intéressé est décédé. Aucune explication n’ayant été fournie par le Gouvernement sur ce qui est arrivé au prisonnier pendant sa détention, le Gouvernement est responsable de cette mort et il y a eu violation de l’article 2 de la Convention. S’y ajoute une autre violation de l’article 2 en ce que l’enquête insuffisante menée sur la disparition d’Ahmet Çakici et sur la découverte présumée de son cadavre révèle un manquement à l’obligation de protéger le droit à la vie. Sur l’article 3 de la Convention La Cour constate que les mauvais traitements subis par Ahmet Çakici pendant sa détention (voir plus haut) constituent une torture contraire à cette disposition. Elle n’estime pas cependant que la disparition d’Ahmet Çakici permette de conclure que le requérant a lui-même souffert d’un traitement inhumain et dégradant de la part des autorités. Elle souligne n’avoir pas établi un principe général selon lequel le parent d’un disparu est également victime d’un traitement contraire à l’article 3. Cela dépend de l’existence de facteurs particuliers conférant à la souffrance du parent du disparu une dimension et un caractère distinct du désarroi affectif inévitable dans ces circonstances. Particulièrement importants à cet égard sont les réactions et le comportement des autorités face à la situation qu’a signalée la famille. Il n’existe en l’espèce aucune spécificité qui justifierait un constat de violation de l’article 3 dans le chef du requérant lui-même. Sur l’article 5 de la Convention La Cour dit que la disparition d’Ahmet Çakici pendant sa détention non reconnue constitue une violation particulièrement grave du droit à la liberté et à la sûreté de la personne que garantit cette disposition. Elle renvoie notamment à l’inexistence d’un enregistrement fiable et précis de la détention de personnes placées en garde à vue par des gendarmes et à l’absence de toute enquête rapide ou sérieuse sur les circonstances de la disparition d’Ahmet Çakici. Sur l’article 13 de la Convention Renvoyant notamment à sa motivation de l’arrêt rendu le 19 février 1998 dans l’affaire Kaya c. Turquie, la Cour estime que les autorités avaient l’obligation de mener une enquête effective sur les circonstances de la disparition d’Ahmet Çakici. Réitérant ses conclusions au regard des articles 2 et 5 de la Convention sur l’absence d’enquête effective, la Cour conclut à une violation de l’article 13. Sur les articles 14 et 18 de la Convention La Cour estime ne disposer d’aucun élément étayant les allégations de violation des articles 14 et 18. En conséquence, elle ne constate pas de violation de ces dispositions. Sur l’article 41 de la Convention Au titre du dommage matériel, le requérant demandait 4 700 000 livres turques pour une somme qui aurait été confisquée à Ahmet Çakici lors de son arrestation et 11 534,29 GBP au titre de la perte de revenus pour sa veuve et ses enfants. Le requérant réclamait également 40 000 GBP pour dommage moral et 32 205,17 GBP au titre du remboursement des frais et dépens. La Cour, statuant en équité, accorde 11 534,29 GBP pour dommage matériel, somme que le requérant détiendra pour la veuve et les enfants de son frère, 25 000 GBP pour dommage moral aux héritiers de son frère, 2 500 GBP pour dommage moral au requérant lui-même et 20 000 GBP pour frais et dépens. MM. les juges Jungwiert, Thomassen, Fischbach et Gölcüklü ont exprimé des opinions en partie dissidentes, dont le texte se trouve joint à l’arrêt. |