Corte Europea dei Diritti dell’Uomo, CASO TANRIKULU contro TURCHIA sentenza dell’08 luglio 1999 . |
COMUNICATO STAMPA Par un arrêt rendu à Strasbourg le 8 juillet 1999 dans l’affaire Tanrikulu c. Turquie, la Cour européenne des Droits de l’Homme dit, à l’unanimité, qu’il n’a pas été établi que l’époux de la requérante ait été tué en violation de l’article 2 (droit à la vie) de la Convention européenne des Droits de l’Homme ; qu’il y a eu violation de cette disposition en ce que les autorités de l’Etat défendeur n’ont pas mené d’enquête effective sur les circonstances du décès de l’époux de la requérante ; et qu’il n’y pas lieu d’examiner le grief tiré par la requérante de l’article 2 en ce qui concerne l’allégation relative au défaut de protection du droit à la vie dans la législation interne. En outre, la Cour dit, par seize voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 13 (droit à un recours effectif) de la Convention ; à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 2 combiné avec l’article 14 de la Convention ; par seize voix contre une, que l’Etat défendeur a manqué aux obligations qui lui incombaient en vertu de l’ancien article 25 § 1 de la Convention. En application de l’article 41 (satisfaction équitable) de la Convention, la Cour alloue à la requérante une certaine somme pour préjudice moral ainsi que pour frais et dépens. 1. Principaux faits La requérante, Selma Tanrikulu, ressortissante turque, est née en 1964 et réside à Diyarbakir (Turquie). L’époux de la requérante, Zeki Tanrikulu, était médecin à l’hôpital de Silvan. Le 2 septembre 1993, vers midi, il fut tué par balles à Silvan sur une route escarpée entre l’hôpital et la direction de la sûreté. La requérante, qui entendit les coups de feu depuis son appartement situé dans l’enceinte de l’hôpital, se précipita sur les lieux et vit deux hommes s’enfuir. Son époux décéda peu de temps après. La requérante et le Gouvernement ont exposé des versions différentes des événements en cause. Selon la requérante, au moins huit agents des forces de l’ordre qui brandissaient des mitraillettes étaient alignés en travers de la rue où son époux a été tué. Elle les supplia de ne pas laisser s’échapper les deux hommes qu’elle avait vus s’enfuir, mais ils n’en firent rien. D’après le Gouvernement, deux policiers au plus se trouvaient à l’extérieur de la direction de la sûreté. Ils étaient de faction à l’entrée du bâtiment faisant l’angle avec la rue où l’incident est survenu, et avaient strictement pour instruction de ne pas quitter leur poste. Le 5 novembre 1993, le parquet de Silvan rendit une décision d’incompétence et transmit le dossier à la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakir. Le procureur général près cette cour recueillit la déposition de la requérante le 18 novembre 1994. L’enquête, qui est toujours en cours, n’a abouti à aucune arrestation. 2. Procédure et composition de la Cour La requête a été introduite devant la Commission européenne des Droits de l’Homme le 25 février 1994. Après l’avoir déclarée recevable, la Commission a adopté, le 15 avril 1998, un rapport formulant l’avis qu’il y avait eu violation de l’article 2 quant à l’enquête menée sur le meurtre (unanimité) et de l’article 13 (unanimité) ; qu’il n’y avait pas eu violation des articles 3 (unanimité) et 14 (unanimité) ; qu’il n’y avait pas lieu d’examiner le grief sous l’angle de l’article 6 (unanimité) ; et que la Turquie avait failli aux obligations qui lui incombaient en vertu de l’ancien article 25 de la Convention (vingt-neuf voix contre une). Elle a porté l’affaire devant la Cour le 24 septembre 1998. Conformément aux dispositions transitoires du Protocole n° 11 à la Convention, l’affaire a été transmise à la Grande Chambre de la Cour européenne des Droits de l’Homme à la date d’entrée en vigueur du Protocole, le 1er novembre 1998. L’arrêt a été rendu par la Grande Chambre composée de 17 juges. 3. Résumé de l’arrêt Griefs La requérante se plaint de violations du droit à la vie garanti par l’article 2 de la Convention européenne des Droits de l’Homme en raison du meurtre de son époux par les forces de l’ordre de l’Etat ou avec leur connivence, de l’absence d’enquête effective des autorités à cet égard, et du défaut de protection du droit à la vie dans la législation interne. Elle se plaint en outre d’une méconnaissance de l’article 13 en ce qu’elle a été privée d’un recours interne effectif pour exposer les manquements à la Convention. Elle allègue aussi que son mari a été tué en raison de son origine kurde, au mépris de l’article 14 (interdiction de discrimination). Enfin, elle se plaint d’avoir été entravée dans l’exercice de son droit de recours individuel, garanti par l’ancien article 25 § 1 de la Convention. Décision de la Cour Sur l’exception préliminaire soulevée par le Gouvernement Devant la Cour, le Gouvernement a soutenu que la requérante n’avait pas épuisé les voies de recours internes qu’offrait le droit turc. La Cour note que les recours civils ne peuvent aboutir que si les responsables de l’acte dénoncé sont identifiés, ce qui n’a pas été le cas en l’espèce. Quant au recours administratif, elle relève qu’aucun exemple de cas où une personne ait intenté ce recours dans une situation comparable à celle de la requérante ne lui a été fourni. En outre, l’obligation qu’imposent les articles 2 et 13 de la Convention aux Etats contractants en cas de décès de mener des investigations pouvant conduire à l’identification et à la punition des responsables peut être rendue illusoire si un requérant est tenu d’épuiser un recours de droit administratif aboutissant au simple octroi de dommages-intérêts. Par conséquent, la Cour rejette l’exception préliminaire du Gouvernement en tant qu’elle se rapporte aux recours civils et administratifs invoqués ; elle la joint au fond en tant qu’elle concerne les recours pénaux. Appréciation des faits par la Cour La Cour accepte les faits établis par la Commission, laquelle avait, à cette fin, effectué une mission d’enquête à Ankara. Toutefois, elle constate que la tâche d’établissement des faits incombant à la Commission a été d’autant plus difficile que le Gouvernement n’avait pas fourni le dossier d’enquête complet ni veillé à la comparution devant les délégués de deux procureurs. Relevant que, pour que le mécanisme de recours individuel instauré à l’ancien article 25 de la Convention (désormais l’article 34) soit efficace, il est de la plus haute importance que les Etats fournissent toutes facilités nécessaires pour permettre un examen sérieux et effectif des requêtes (ancien article 28 § 1 a) de la Convention, désormais l’article 38 de la Convention), la Cour estime que le Gouvernement a manqué à cette obligation. Sur l’article 2 de la Convention 1) Le décès de l’époux de la requérante La Cour estime que les éléments du dossier ne lui permettent pas de conclure au-delà de tout doute raisonnable que l’époux de la requérante a été tué par les forces de l’ordre ou avec leur connivence. 2) L’enquête menée par les autorités nationales La Cour rappelle que l’obligation de protéger le droit à la vie qu’impose l’article 2 de la Convention, combinée avec le devoir général incombant à l’Etat en vertu de l’article 1 de reconnaître à toute personne relevant de sa juridiction les droits et libertés définis dans la Convention, implique et exige de mener une forme d’enquête efficace lorsque le recours à la force a entraîné mort d’homme. L’enquête aurait dû permettre l’identification et la punition des responsables. Pour la Cour, il paraît douteux que l’enquête sur les lieux de l’incident ait dépassé le stade du superficiel, compte tenu du peu de temps qui y a été consacré et de l’absence de photographies. De plus, rien n’indique que l’on ait tenté de retrouver les onze balles manquantes qui ont traversé le corps de l’époux de la requérante. La Cour exprime des doutes quant au peu d’informations à caractère médico-légal recueillies au cours de l’autopsie, et juge regrettable qu’aucun médecin légiste n’y ait participé et qu’aucune autopsie classique n’ait été pratiquée. La Cour est frappée par le fait que le procureur a transféré le dossier à la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakir en précisant qu’à son avis, le meurtre était une infraction terroriste, alors qu’aucun élément ne corroborait, semble-t-il, cette conclusion. La déposition de la requérante n’a été recueillie que plus d’un an après l’incident, et même après avoir été informées des griefs de la requérante après l’introduction de la requête, les autorités n’ont pas été incitées à recueillir, par exemple, les déclarations des agents qui montaient la garde devant la direction de la sûreté. En conclusion, l’enquête menée en l’espèce ne saurait être considérée comme une réelle enquête propre à conduire à l’identification et à la punition des responsables du meurtre de l’époux de la requérante. En outre, la Cour n’est pas convaincue que les recours pénaux dont la requérante aurait théoriquement pu se prévaloir eussent sensiblement modifié le déroulement de l’enquête. Partant, la Cour rejette pour le surplus l’exception préliminaire du Gouvernement et conclut à la violation de l’article 2. Eu égard à cette conclusion, elle estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief de la requérante relatif au défaut de protection du droit à la vie dans la législation interne. Sur l’article 13 de la Convention Invoquant le raisonnement qu’elle a formulé notamment dans son arrêt du 19 février 1998 en l’affaire Kaya c. Turquie, la Cour estime que les autorités nationales avaient l’obligation de mener une enquête effective sur les circonstances du décès du mari de la requérante. Réitérant sa conclusion au regard de l’article 2 sur l’absence d’enquête effective, la Cour conclut à la violation de l’article 13. Sur l’article 14 La Cour estime ne disposer d’aucun élément étayant l’allégation de violation de l’article 14. Partant, elle conclut à la non-violation de cette disposition. Sur l’ancien article 25 § 1 de la Convention La Cour constate que la requérante a été interrogée par le procureur général près la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakir sur l’authenticité de la procuration qui avait été soumise pour sa représentation dans le cadre de la procédure devant la Commission. Elle souligne qu’il n’est guère approprié que les autorités d’un gouvernement défendeur entrent en contact direct avec un requérant en la matière, et estime que la façon dont le Gouvernement a procédé en l’espèce peut avoir été interprétée par la requérante comme une tentative d’intimidation. La Cour relève en outre que selon le procès-verbal établi à cette occasion, on a montré à la requérante une procuration portant un nom qui n’était pas le sien, alors que la seule procuration qui ait été communiquée au Gouvernement par la Commission était au nom de la requérante. Le Gouvernement a ultérieurement informé la Commission que la requérante avait nié avoir signé la procuration. La Cour est d’avis que les autorités ont délibérément tenté de jeter le doute sur la validité de la requête et, par là-même, sur la crédibilité de la requérante. En conclusion, la Cour estime que le gouvernement défendeur a failli aux obligations qui lui incombaient en vertu de l’ancien article 25 § 1 de la Convention. Sur l’article 41 de la Convention La requérante réclame 15 000 livres sterling (GBP) en réparation du préjudice moral dont elle-même, son mari et leurs trois enfants mineurs ont été victimes, et 24 396,06 GBP en remboursement des frais et dépens. La Cour, statuant en équité, alloue à la requérante 15 000 GBP au titre du préjudice moral et 15 000 GBP pour frais et dépens. M. le juge Gölcüklü a exprimé une opinion en partie dissidente, dont le texte se trouve joint à l’arrêt. |