caso e.p 2

Corte Europea dei Diritti dell’Uomo
CASO: E.P. contro ITALIA
sentenza del 16 novembre 1999
(Ricorso n° 31127/96)

 

VITA FAMILIARE: ROTTURA TOTALE DEI LEGAMI TRA UNA MADRE E SUO FIGLIO A SEGUITO DI UNA DECISIONE GIURISDIZIONALE

(violazione dell’articolo 8 della Convenzione Europea dei Diritti dell’Uomo). Lo Stato Italiano deve versare alla ricorrente 100.000.000 di lire italiane per il danno morale sofferto e lire 3.000.000 di lire italiane per spese legali.

(estratto dalla motivazione)

EN FAIT

7.  La requérante est la mère d'une jeune fille, M.-A., née en 1981.

8.  Le 3 octobre 1988, la requérante et sa fille débarquèrent à l'aéroport de Rome après avoir vécu en Grèce depuis la naissance de M.-A. Dès son arrivée, la requérante s'adressa au service médical de l'aéroport puisque sa fille avait eu un malaise. Le médecin de garde constata des vomissements et de la fièvre s'élevant à 38° et ordonna en conséquence l'hospitalisation de la petite.

9.  Le 15 octobre 1988, le service de psychiatrie de l'hôpital demanda au tribunal de Rome, section des enfants, d'autoriser l'éloignement de la requérante de sa fille et l'interdiction des visites jusqu'à ce que la situation médicale et psychiatrique complexe de M.-A., qui ne parlait pas l'italien, fût clairement définie. Selon le médecin compétent, l'état psychologique de la requérante était affecté par des idées obsessionnelles portant sur l'état de santé de sa fille. Il avait été en outre très difficile d'apprécier les conditions psychiques de la fillette compte tenu de l'interférence continue de la requérante dans les soins et examens médicaux. Enfin, selon le médecin, la requérante avait tenté de quitter l'hôpital avec sa fille, contrairement, toujours selon lui, aux recommandations déjà faites par le tribunal. Toutefois, il ne ressort pas du dossier que le tribunal ait auparavant eu à prendre des décisions concernant la requérante et sa fille.

10.  Le 22 octobre 1988, l'institut provincial de Rome pour l'assistance aux enfants (Istituto provinciale per l'assistenza all'infanzia) communiqua au tribunal les renseignements qu'il avait pu recueillir sur la base d'entretiens avec la requérante, le personnel de l'hôpital et le frère de la requérante, H.P., résidant depuis longtemps à Milan. Selon cet institut, des éléments recueillis il ressortait que la requérante avait fait hospitaliser 
M.-A. à plusieurs reprises, en particulier dans des hôpitaux pédiatriques situés à Athènes, Sofia et Londres, car elle considérait que la fillette était grièvement malade. Toujours selon l'institut, pendant la dernière hospitalisation à Athènes, durant l'été 1988, le tribunal d'Athènes avait été appelé à intervenir pour interdire à la requérante de récupérer sa fille et en vue de l’ouverture d’une procédure d'adoption. La requérante avait cependant réussi à faire sortir abusivement sa fille de l'hôpital et avait pu arriver à Rome. Enfin, selon l'institut, après avoir été séparée de sa mère, M.-A. paraissait tranquille, même si elle en demandait des nouvelles.

11.  Dans un dernier rapport daté du 25 octobre 1988, le département de psychiatrie de l'hôpital romain adressa au tribunal de Rome les recommandations suivantes :

a) maintien de la séparation entre M.-A. et sa mère ;

b) sortie de la fillette de l'hôpital dès que possible ;

c) placement de celle-ci dans une famille où les relations parentales seraient sereines ;

d) insertion dans une école et participation à des activités sociales.

12.  L'hôpital avait en effet estimé que M.-A. avait développé un lien pathologique avec sa mère, lien qui répondait aux besoins de la mère plutôt qu'aux exigences du développement de l'enfant. La séparation de la fillette de la requérante avait mis en évidence une réaction anxieuse et dépressive, mais M.-A. s'était montrée capable de la surmonter en s'appuyant sur d'autres images féminines. Selon l'hôpital, M.-A. avait manifesté un grand intérêt pour les enfants de son âge et une excellente capacité de socialisation.

13.  Le 26 octobre 1988, le tribunal de Rome ordonna le placement provisoire de M.-A. dans la famille du frère de la requérante.

14.  Entre-temps, H.P. et son épouse avaient convaincu la requérante de se faire hospitaliser, à partir du 18 octobre 1988, dans le département psychiatrique d'un hôpital situé à Melegnano, près de Milan. Selon un rapport médical daté du 15 décembre 1988, la requérante souffrait d'une psychose chronique dont l'élément constitutif était un délire hypocondriaque axé sur sa fille. La requérante quitta l'hôpital à cette dernière date et retourna en Grèce.

15.  Par une décision du 16 février 1989, le tribunal de Milan, section des enfants, qui était devenu compétent en raison du lieu de résidence de la famille du frère de la requérante, releva que le placement de M.-A. dans cette famille ne pouvait pas se poursuivre à cause d'une série de difficultés de la part de la famille d'accueil. Le tribunal décida en conséquence de maintenir l'enfant éloigné de la requérante et de la confier au service social compétent afin que ce dernier procédât à son placement dans une autre famille dans le plus bref délai. Le tribunal ordonna également une enquête psychologique complète sur la mère. Enfin, le tribunal ordonna l'engagement de la procédure prévue par l'article 8 de la loi n° 184 du 4 mai 1983 (" la loi n° 184/83 ") visant éventuellement à ce que M.-A. fût déclarée adoptable. Selon cette disposition, " le tribunal pour enfants, même d'office, peut déclarer adoptables (...) les mineurs en situation d'abandon car privés de toute assistance morale ou matérielle de la part des parents ou de la famille tenus de subvenir à leurs besoins, sauf si le manque d'assistance est dû à une situation provisoire de force majeure ".

16.  Par une décision du 16 mars 1989, le tribunal suspendit l'autorité parentale de la requérante ainsi que tout rapport entre la fillette et sa mère et les autres membres de la famille. Compte tenu de l'urgence de la décision, le tribunal n'entendit ni le ministère public ni la requérante. Le tribunal se fonda surtout sur un rapport concernant l'état de santé psychologique de 
M.-A. rédigé par l'université de Milan. Selon ce rapport, M.-A. souffrait d'anxiété et de dépression, ainsi que d'une tendance presque névrotique à satisfaire ses besoins immédiats. La perception de l'image des parents était problématique: celle de la mère était difficile à identifier et celle du père, qu’elle n’avait jamais rencontré, évoquait la peur et restait abstraite. Ce rapport conclut que la fillette était atteinte de sérieux troubles affectifs/relationnels dus au comportement pathologique de la mère, qui pendant longtemps avait constitué la seule source de stimulations. En constatant le potentiel que représentait la volonté de l'enfant d'une évolution affective positive, le rapport recommandait le placement de M.-A. dans une famille sereine, une assistance psychologique adéquate et l'insertion dans un environnement socio-scolaire stimulant.

17.  Le 9 mai 1989, la requérante présenta un premier recours au tribunal de Milan, demandant la révocation de la décision du 16 février 1989. La requérante fit valoir notamment que sa fille avait toujours vécu en Grèce et qu’au moment où elle avait été séparée de sa mère, elle ne connaissait même pas l'italien. La requérante souligna en outre que d'après l'article 20 des dispositions préliminaires du code civil italien, toujours en vigueur à l'époque, les relations entre parents et enfants étaient régies par la loi nationale de la mère, si le père n'était pas connu.

18.  Le 22 mai 1989, le tribunal demanda au service social qui suivait M.-A. d'exprimer un avis sur l'adoptabilité de l'enfant, en soulignant le caractère urgent de la question.

19.  Entre-temps, M.-A. avait été reconnue par son père.

20.  Le 30 juin 1989, le tribunal de Milan déclara M.-A. adoptable, après avoir entendu notamment la requérante, la grand-mère maternelle et H.P. Le tribunal considéra en effet que la fillette se trouvait dans un état d'abandon au sens de l'article 8 de la loi n° 184/83, étant donné la situation de la mère et l'impossibilité de placer l'enfant dans la famille de son frère. Il estima par ailleurs qu'aucun poids ne pouvait être attribué à la reconnaissance tardive de M.-A. par son père naturel, qui ne l'avait d'ailleurs jamais vue et dont il ne connaissait même pas le prénom. Enfin, quant à la question de l'application éventuelle de la loi grecque, le tribunal estima que, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation en la matière, pour que la loi italienne fût applicable il suffisait que l'enfant se trouvât dans un état d'abandon sur le territoire italien.

21.  La requérante présenta un nouveau recours faisant valoir, entre autres, que l'anamnèse sur laquelle s'était fondé le rapport du 15 décembre 1988 concernant son état de santé psychique, avait pris en compte surtout les informations fournies par sa belle-sœur, avec laquelle elle n'avait jamais eu de rapports avant son arrivée en Italie et qui dès lors ne pouvait pas connaître la vie qu'elle avait menée avec sa fille en Grèce. En outre, il aurait fallu considérer que la requérante s'était présentée spontanément à l'hôpital de Melegnano par crainte d'être séparée de sa fille. Enfin la requérante fit observer qu'on ne pouvait pas parler d'état d'abandon, compte tenu du fait qu'elle percevait une pension et était également la propriétaire d'un appartement à Athènes dont elle percevait un loyer. La requérante demanda qu'une expertise concernant son état de santé mentale fût ordonnée et joignit une première expertise privée de laquelle il ressortait que la séparation d'un enfant de sa mère ne pouvait se justifier que par des raisons exceptionnelles, qui faisaient défaut dans le cas de la requérante, et que certains traits anxieux-dépressifs relevés chez la requérante s'expliquaient par la séparation de sa fille.

22.  Entre-temps, le parquet près le tribunal de première instance d'Athènes avait précisé que, contrairement à ce qu’avait affirmé l'institut provincial de Rome le 22 octobre 1988, ce tribunal n'avait jamais pris de mesures concernant la requérante ou sa fille.

23.  Une première audience eut lieu le 29 novembre 1989. Une deuxième audience, fixée au 21 février 1990, fut apparemment reportée en raison du retard dans la transmission par le tribunal de Rome du dossier concernant M.-A.

24.  A l'audience du 22 mars 1990, le médecin ayant suivi la requérante à l'hôpital de Melegnano précisa avoir obtenu des informations sur le passé récent de la requérante directement d’elle, alors que des renseignements généraux sur sa vie lui avaient été fournis par sa belle-sœur. Ce même médecin déclara également qu'au début la belle-sœur de la requérante avait estimé opportun que celle-ci restât à l'hôpital et seulement par la suite, invitée par le médecin à indiquer une solution de remplacement, avait proposé que la requérante rentrât en Grèce. Enfin, le médecin affirma avoir diagnostiqué une psychose chronique sur la base des informations fournies par la belle-sœur et reconnut en outre n'avoir jamais demandé à la requérante si elle avait eu d'autres enfants ou si elle avait avorté.

25.  Les 23 mars et 2 juillet 1990, le tribunal de Milan sollicita à nouveau l'envoi par le tribunal de Rome du dossier concernant la fillette, soulignant le caractère d'urgence de l'affaire. La transmission des actes de la procédure se trouvant à Rome au tribunal de Milan eut finalement lieu le 27 juillet 1990.

26.  La dernière audience se déroula le 31 octobre 1990. A cette date, le curateur spécial (curatore speciale) souleva une exception de nullité de la décision du 30 juin 1989, du fait de l'irrégularité de la composition du tribunal. Cette demande fut accueillie et par conséquent, cette dernière décision fut annulée.

27.  Par une décision du 22 novembre 1990, déposée au greffe le 1er décembre suivant et notifiée à la requérante le 12 décembre, le tribunal réitéra la déclaration reconnaissant M.-A adoptable. Le tribunal, qui n'avait pas entendu l'enfant et s'était conformé aux conclusions du ministère public, basa sa décision sur les mêmes éléments ayant fondé la décision annulée du 30 juin 1989, à savoir, notamment, les rapports médicaux des 15 décembre 1988 et 14 mars 1989. Le tribunal releva par ailleurs l'intention du père naturel de M.-A. d'épouser la requérante, sans toutefois lui attribuer une incidence quelconque.

28.  La requérante, qui entre-temps avait demandé la suspension de la procédure d'adoption, forma opposition. Elle constata tout d'abord que cette dernière décision avait repris servilement les arguments exposés dans la première. Elle fit valoir en particulier que le diagnostic de décembre 1988 concernant son état de santé mentale ne pouvait justifier une décision prise deux ans plus tard, étant donné que la déclaration d'adoptabilité devait se référer aux conditions existant au moment de la décision. La requérante se déclara par ailleurs disposée à être suivie par les services sociaux pour assurer une meilleure éducation à sa fille. Enfin, elle demanda à pouvoir revoir sa fille dans un endroit neutre et en présence des assistants sociaux, ainsi que l'audition de M.-A. et une expertise sur sa propre personne.

29.  La requérante produisit par ailleurs plusieurs expertises de psychologues privés. L'une d'entre elles, rédigée par un médecin légiste et notamment spécialiste en psychiatrie, faisait valoir qu'un diagnostic de psychose " chronique " devait se fonder sur des précédents psychotiques, dont en revanche il n'y avait aucune trace dans le dossier de la requérante qui avait exercé, toujours avec succès, son activité d'infirmière. Enfin, cette même expertise soulignait que les préoccupations de la requérante pour la santé de sa fille se fondaient sur des éléments bien réels et ne constituaient pas un " délire ".

30.  En effet, il ressortait du dossier que plusieurs médecins avaient dans le passé relevé des pathologies chez M.-A. Ainsi :

a) un certificat de la faculté de médecine de l'université d'Athènes du 3 septembre 1986 attestait l'existence d'une pathologie non précisée ;

b) un certificat de la même faculté, daté du 12 décembre 1986, précisait que le système immunitaire de la fillette était déficitaire et recommandait de ne pas la vacciner, d'éviter tout contact avec d'autres enfants porteurs éventuels de virus et enfin de ne pas l'envoyer à l'école;

c) un certificat du 30 décembre 1986, rédigé par un médecin privé, recommandait des soins médicaux et pharmaceutiques réguliers, ainsi que des cures climatiques ;

d) le certificat d'un autre spécialiste privé, daté du 2 septembre 1988, faisait état d'infections des appareils digestif et respiratoire, et prescrivait l'usage d'oxygène à domicile pendant les crises.

31.  En mars 1991, deux expertises d'office furent accomplies. En mai de cette même année, le grand-père de M.-A. ainsi que la requérante furent entendus.

32.  Le 16 octobre 1991, le tribunal entendit la requérante et ordonna une expertise psychologique de la fillette.

33.  En janvier, avril et mai 1992 furent entendus plusieurs témoins et experts (l'audience du 15 février 1992 ayant été reportée car le défenseur de la requérante avait eu un accident de la route).

34.  L'audience du 20 mai 1992 fut consacrée à l'audition de certains témoins cités par la requérante, qui demanda également la fixation d'une audience pour permettre l'audition de témoins vivant en Grèce.

35.  Le 21 octobre 1992, l'audience fut reportée en raison de la nécessité de remplacer l'un des membres du tribunal et également à la demande de la requérante. L'audience suivante du 4 novembre 1992 fut elle aussi reportée puisque les témoins cités par la requérante, et qui résidaient en Grèce, n'avaient pas comparu. Le tribunal avait dû par conséquent ordonner des commissions rogatoires internationales.

36.  Le 9 décembre 1992, la requérante, relevant que l'audience finale avait été reportée au mois d'avril 1993, se plaignit du fait que, nonobstant ses demandes réitérées, aucune rencontre n'avait été organisée entre elle et sa fille et aucune mesure permettant d’envisager la possibilité de renouer une relation avec sa fille n'avait été prise par le tribunal, ce dernier n'ayant pas répondu ou s'y étant refusé