Corte Europea dei Diritti dell’Uomo, CASO CHASSAGNOU ED ALTRI CONTRO FRANCIA sentenza del 29 aprile 1999 COMUNICATO STAMPA Par un arrêt rendu à Strasbourg le 29 avril 1999 dans l’affaire Chassagnou et autres c. France, la Cour européenne des Droits de l’Homme dit, par douze voix contre cinq, qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole n° 1 (droit de propriété) à la Convention européenne des Droits de l’Homme et de l’article 11 (liberté d’association), pris isolément, par quatorze voix contre trois, qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole n° 1, combiné avec l’article 14 (interdiction de discrimination), par seize voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 11, combiné avec l’article 14 de la Convention et, également par seize voix contre une, qu’il ne s’impose pas d’examiner séparément le grief tiré de l’article 9 (liberté de pensée et de conscience). En application de l’article 41 de la Convention, la Cour alloue à chacun des requérants une certaine somme pour préjudice moral.
1. Principaux faits L’affaire concerne trois requêtes introduites à l’origine par dix ressortissants français, Mme Marie-Jeanne CHASSAGNOU, M. René PETIT, Mme Simone LASGREZAS,MM. Léon DUMONT, Pierre et André GALLAND, Edouard (décédé) et Michel PETIT, Michel PINON et Mme Joséphine MONTION, nés respectivement en 1924, 1936, 1927,1924, 1926 et 1936, 1910 et 1947, 1947 et 1940. Mme Chassagnou, M. René Petit et Mme Lasgrezas sont domiciliés dans les communes de Tourtoirac et de Chourgnac d’Ans, dans le département de la Dordogne où ils exercent la profession d’agriculteurs. MM. Dumont, Galland, Petit et Pinon, qui sont également agriculteurs, sont domiciliés sur le territoire des communes de La Cellette et de Genouillac, dans le département de la Creuse. Mme Montion est domiciliée à Salleboeuf, dans le département de la Gironde, où elle exerce la profession de secrétaire. Tous les requérants sont propriétaires de biens fonciers, d’une surface inférieure à 20 hectares d’un seul tenant pour ceux d’entre eux domiciliés en Dordogne et en Gironde, et à 60 hectares pour ceux domiciliés dans la Creuse. En vertu d’une loi du 10 juillet 1964, dite loi " Verdeille ", relative à l’organisation des associations communales de chasse agréées (ACCA), tous les requérants, qui sont des opposants à la chasse, ont dû devenir membres des ACCA créées dans leur commune et leur faire apport de leur droit de chasse sur leurs terrains pour que tous les chasseurs de la commune puissent y chasser. Ils ne pouvaient se soustraire à cette adhésion obligatoire et à cet apport forcé de leurs terrains que si la superficie de leurs fonds était supérieure à un seuil, variable selon les départements concernés (20 hectares en Dordogne et Gironde et 60 hectares dans la Creuse), ce qui n’était pas le cas. Les requérants tentèrent d’obtenir devant les juridictions internes le retrait de leurs terrains du périmètre des ACCA de leurs communes mais furent déboutées de leurs demandes, tant par les juridictions civiles qu’administratives, en dernier lieu, par arrêt de la Cour de cassation du 16 mars 1994 (affaire Chassagnou, R. Petit et Lasgrezas) ou par arrêts du Conseil d’Etat datés respectivement du 10 mars 1995 (affaire Dumont et autres) et du 10 mai 1995 (affaire Montion).
2. Procédure et composition de la Cour Les requêtes ont été introduites devant la Commission européenne des Droits de l’Homme le 20 avril 1994 pour ce qui est de Mme Chassagnou, M. Petit et Mme Lasgrezas, le 29 avril 1995 pour ce qui est de M. Dumont et autres et le 30 juin 1995 pour ce qui est de Mme Montion. Après avoir déclaré les requêtes recevables, la Commission a adopté, le 30 octobre 1997 et le 4 décembre 1997, trois rapports établissant les faits et formulant l’avis, à la majorité, qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole n° 1 et de l’article 11 ainsi que de l’article 14 combiné avec l’article 1 du Protocole et l’article 11 de la Convention. La Commission a également formulé l’avis, à la majorité, qu’aucun problème distinct ne se posait au regard de l’article 9 de la Convention. Les affaires ont été déférées à la Cour par la Commission le 15 décembre 1997 pour la première (Chassagnou et autres) et le 16 mars 1998 pour les deux autres (Dumont et autres et Montion). L’arrêt a été rendu par une Grande Chambre composée de 17 juges.
3. Résumé de l’arrêt Griefs Les requérants se plaignent de ce que l’inclusion forcée de leurs terrains dans le périmètre des ACCA en question et leur adhésion obligatoire à une association dont ils réprouvent l'objet viole leur droit de propriété, leur droit à la liberté d’association et leur droit à la liberté de pensée et de conscience, prévus aux articles 1 du Protocole n° 1, 11 et 9 de la Convention européenne des Droits de l’Homme. Ils se plaignent également d’une discrimination contraire à l’article 14 de la Convention.
Décision de la Cour Article 1 du Protocole n° 1 quant à l’atteinte au droit de propriété des requérants La Cour relève qu’en l’occurrence, les requérants ne souhaitent pas chasser chez eux et s’opposent à ce que des tiers puissent pénétrer sur leur fonds pour pratiquer la chasse. Or, opposants éthiques à la chasse, ils sont obligés de supporter tous les ans sur leur fonds la présence d'hommes en armes et de chiens de chasse. A n’en pas douter, cette limitation apportée à la libre disposition du droit d’usage constitue une ingérence dans la jouissance des droits que les requérants tirent de leur qualité de propriétaire. La Cour estime, en ce qui concerne le but de cette ingérence, qu’il est assurément dans l’intérêt général d’éviter une pratique anarchique de la chasse et de favoriser une gestion rationnelle du patrimoine cynégétique. Après avoir relevé qu’aucune des options évoquées par le Gouvernement (possibilité de clore son terrain ou demandes qu’auraient pu présenter les requérants afin d’obtenir le classement de leurs terrains en réserves de chasse ou réserves naturelles) n’était susceptible en pratique de dispenser les requérants de l’obligation légale d’apporter leur fonds aux ACCA, la Cour a considéré que les contreparties légales mentionnées par le Gouvernement, ne sauraient être considérées comme représentant une juste indemnisation de la perte du droit d’usage. Il est clair que dans l’esprit de la loi Verdeille de 1964, la privation du droit de chasse exclusif de chaque propriétaire soumis à apport devait être compensée par la possibilité concomitante de chasser sur l’ensemble du territoire de la commune soumis à l’emprise de l’ACCA. Cependant, cette compensation n’a de réalité et d’intérêt que pour autant que tous les propriétaires concernés soient chasseurs ou acceptent la chasse. Or, la loi de1964 n’a envisagé aucune mesure de compensation en faveur des propriétaires opposés à la chasse qui, par définition, ne souhaitent tirer aucun avantage ou profit d'un droit de chasse qu’ils refusent d’exercer. La Cour relève que l’apport forcé du droit de chasse, attribut en droit français du droit de propriété, est dérogatoire au principe posé par l'article L. 222-1 du code rural, selon lequel nul ne saurait chasser sur la propriété d'autrui sans le consentement du propriétaire. La Cour observe en outre que, suite à l'adoption de la loi Verdeille en 1964, qui excluait dès l'origine les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, seuls 29 départements, sur les 93 départements concernés en France métropolitaine, ont été soumis au régime de la création obligatoire d'ACCA, que le régime des ACCA facultatives ne s'applique que dans 851 communes, et que la loi ne vise que les petites propriétés, à l'exclusion tant des grandes propriétés privées que des domaines appartenant à l'Etat. En conclusion, nonobstant les buts légitimes recherchés par la loi de 1964 au moment de son adoption, la Cour estime que le système de l’apport forcé qu’elle prévoit aboutit à placer les requérants dans une situation qui rompt le juste équilibre devant régner entre la sauvegarde du droit de propriété et les exigences de l’intérêt général : obliger les petits propriétaires à faire apport de leur droit de chasse sur leurs terrains pour que des tiers en fassent un usage totalement contraire à leurs convictions se révèle une charge démesurée qui ne se justifie pas sous l’angle du second alinéa de l’article 1 du Protocole n° 1. Il y a donc violation de cette disposition.
Article 1 du Protocole n° 1, combiné avec l’article 14 de la Convention La Cour observe que l’Etat défendeur cherche à justifier la différence de traitement entre les petits et les grands propriétaires en invoquant la nécessité d'assurer le regroupement des petites parcelles pour favoriser une gestion rationnelle des ressources cynégétiques. La Cour considère qu’en l’espèce le gouvernement défendeur n’a pas expliqué de manière convaincante comment l’intérêt général pouvait être servi par l’obligation faite aux seuls petits propriétaires de faire apport de leur droit de chasse sur leurs terrains. Dans la mesure où la différence de traitement opérée entre les grands et les petits propriétaires a pour conséquence de réserver seulement aux premiers la faculté d’affecter leur terrain à un usage conforme à leur choix de conscience, elle constitue une discrimination fondée sur la fortune foncière au sens de l’article 14 de la Convention. Il y a donc violation de l’article 1 du Protocole n° 1, combiné avec l’article 14 de la Convention.
Article 11 (liberté d’association) de la Convention pris isolément Selon la Cour, la notion d’ " association " possède une portée autonome : la qualification en droit national n’a qu’une valeur relative et ne constitue qu’un simple point de départ. Il est vrai que les ACCA doivent leur existence à la volonté du législateur, mais la Cour relève qu’il n'en demeure pas moins que les ACCA sont des associations constituées conformément à la loi du 1er juillet 1901. En outre, il ne saurait être soutenu que les ACCA jouissent en vertu de la loi Verdeille de prérogatives exorbitantes du droit commun, tant administratives que normatives ou disciplinaires ou qu’elles utilisent des procédés de la puissance publique. La Cour estime donc que les ACCA sont bien des " associations " au sens de l’article 11. La Cour est d’avis que l’ingérence dans le droit à la liberté d’association " négative ", c’est-à-dire le droit de ne pas faire partie d’une association contre sa volonté, était en l’espèce prévue par la loi et poursuivait un but légitime, à savoir celui de la protection des droits et libertés d’autrui. En l’occurrence, le Gouvernement fait état de la nécessité de protéger ou de favoriser un exercice démocratique de la chasse. A supposer même que le droit français consacre un " droit " ou une " liberté " de chasse, la Cour relève qu’un tel droit ou liberté ne fait pas partie de ceux reconnus par la Convention qui, par contre, garantit expressément la liberté d’association. Quant à la question de savoir si l’ingérence était proportionnelle au but légitime poursuivi, la Cour note que les requérants sont des opposants éthiques à la pratique de la chasse et que leurs convictions à cet égard atteignent un certain degré de force, de cohérence et d’importance et méritent de ce fait respect dans une société démocratique. Partant, la Cour estime que l'obligation faite à des opposants à la chasse d’adhérer à une association de chasse peut à première vue sembler incompatible avec l’article 11. La Cour relève qu’en l’espèce les requérants n’ont raisonnablement pas la possibilité de se soustraire à cette affiliation : pourvu que leurs terrains soient situés sur le territoire d’une ACCA et qu’ils ne soient pas propriétaires de terrains d’une superficie leur permettant de faire opposition, leur affiliation est obligatoire. La Cour observe ensuite que la loi exclut expressément de son champ d'application tous les terrains faisant partie du domaine public de l'Etat, des départements et des communes, des forêts domaniales ou des emprises des chemins de fer. En d'autres termes, la nécessité de mettre en commun des terrains pour l'exercice de la chasse ne s'impose qu'à un nombre restreint de propriétaires privés et cela sans que leurs opinions ne soient prises en considération de quelque manière que ce soit. Au vu de ce qui précède, les motifs avancés par le Gouvernement ne suffisent pas à montrer qu’il était nécessaire d’astreindre les requérants à devenir membres des ACCA de leurs communes, en dépit de leurs convictions personnelles. Au regard de la nécessité de protéger les droits et libertés d'autrui pour l'exercice démocratique de la chasse, une obligation d'adhésion aux ACCA qui pèse uniquement sur les propriétaires dans une commune sur quatre en France ne peut passer pour proportionnée au but légitime poursuivi. La Cour n'aperçoit pas davantage pourquoi il serait nécessaire de ne mettre en commun que les petites propriétés tandis que les grandes, tant publiques que privées, seraient mises à l'abri d'un exercice démocratique de la chasse. Contraindre de par la loi un individu à une adhésion profondément contraire à ses propres convictions et l'obliger, du fait de cette adhésion, à apporter le terrain dont il est propriétaire pour que l'association en question réalise des objectifs qu'il désapprouve va au delà de ce qui est nécessaire pour assurer un juste équilibre entre des intérêts contradictoires et ne saurait être considéré comme proportionné au but poursuivi. Il y a donc violation de l’article 11.
Article 11, combiné avec l’article 14 de la Convention La Cour estime que l'examen du grief tiré de l'article 11, lu en combinaison avec l’article 14, est en substance analogue à celui qui a été mené au regard de l'article 1 du Protocole n° 1 et elle ne voit aucune raison de s'écarter de sa conclusion précédente. La Cour estime que le gouvernement défendeur n'a avancé aucune justification objective et raisonnable de la différence de traitement contestée, qui oblige les petits propriétaires à être membres des ACCA et permet aux grands propriétaires d'échapper à cette affiliation obligatoire, qu'ils exercent leur droit de chasse exclusif sur leur propriété ou qu'ils préfèrent, en raison de leurs convictions, affecter celle-ci à l'instauration d'un refuge ou d'une réserve naturelle. En conclusion, il y a violation de l’article 11 combiné avec l’article 14 de la Convention
Article 9 de la Convention Compte tenu des conclusions auxquelles elle est parvenue en ce qui concerne la violation des articles 1 du protocole n° 1 et de l’article 11, tant pris isolément que combinés avec l’article 14 de la Convention, la cour n’estime pas nécessaire de procéder à un examen séparé de l’affaire sous l’angle de l’article 9 de la Convention.
Article 41 de la Convention La Cour, après avoir pris note du fait que les requérants ne demandaient rien au titre des frais et dépens, ayant été représentés gratuitement devant les organes de la Convention, rejette leurs demandes en réparation du préjudice matériel allégué, faute de justificatifs. En revanche, statuant en équité, la Cour accorde à chacun des requérants la somme de 30 000 FF pour dommage moral. Plusieurs juges ont exprimé une opinion séparée.
FRANCIA Corte Europea dei Diritti dell’Uomo, CASO FRESSOZ E ROIRE CONTRO FRANCIA sentenza del 21 gennaio 1999 COMUNICATO STAMPA Par un arret rendu à Strasbourg le 21 janvier 1999 dans l’affaire Fressoz et Roire c. France, la Cour européenne des Droits de l’Homme dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 10 (liberté d'expression) de la Convention européenne des Droits de l’Homme et qu’aucune question distincte ne se pose sous l’angle de l’article 6 § 2 (présomption d'innocence). En application de l’article 41 (satisfaction équitable) de la Convention, la Cour alloue aux requérants certaines sommes pour dommage matériel et pour frais et dépens.
1. Principaux faits Les requérants, MM. Roger Fressoz et Claude Roire, ressortissants français, sont nés respectivement en 1921 et 1939. Ils résidaient à Paris à l’époque des faits. En septembre 1989, dans le cadre d’un conflit social qui a éclaté au sein de l'entreprise automobile Peugeot suite au refus de la direction présidée par M. Jacques Calvet d’augmenter les salaires réclamés par le personnel, le Canard enchaîné publia un article, signé du second requérant, détaillant l’évolution des salaires de M. Calvet, à partir de photocopies partielles de ses trois derniers avis d’imposition. L’article en cause mettait en évidence l’augmentation de salaire du président de Peugeot et titrait : " M. Calvet met un turbo sur son salaire – ses feuilles d’impôt sont plus bavardes que lui. Le patron s’est accordé 45,9 % de mieux en deux ans ". A la suite d'une plainte de M. Calvet, une procédure pénale fut engagée à l'encontre des deux requérants pour notamment recel des photocopies des avis d'imposition du président de Peugeot, provenant de la violation du secret professionnel par un fonctionnaire non identifié. MM. Fressoz et Roire furent relaxés en première instance. En appel, la cour d’appel de Paris les déclara coupables pour recel desdites photocopies et condamna M. Fressoz à une amende de 10 000 francs français (FRF) et M. Roire à 5 000 FRF. En avril 1995, la Cour de cassation rejeta le pourvoi des requérants.
2. Procédure et composition de la Cour La requête a été introduite devant la Commission européenne des Droits de l'Homme le 3 août 1995. Après avoir déclaré la requête recevable, la Commission a adopté, le 13 janvier 1998, un rapport formulant l’avis qu’il y a eu violation de l’article 10 de la Convention (vingt et une voix contre onze) et qu’aucun problème distinct ne se posait sous l’angle de l’article 6 § 2 de la Convention (dix-huit voix contre quatorze). Elle a déféré l’affaire à l’ancienne Cour le 16 mars 1998. Le gouvernement français a lui aussi saisi la Cour. Conformément aux dispositions transitoires du Protocole n° 11 à la Convention, l’affaire a été transmise à la Grande Chambre de la nouvelle Cour européenne des Droits de l’Homme à la date d’entrée en vigueur du Protocole, le 1er novembre 1998. L’arrêt a été rendu par une Grande Chambre composée de 17 juges.
3. Résumé de l’arrêt Griefs Les requérants se plaignent que leur condamnation par la cour d'appel de Paris a porté atteinte à leur droit à la liberté d'expression, garanti par l'article 10 de la Convention. Ils se plaignent également qu'au mépris de l'article 6 § 2, ils n'ont pas bénéficié de la présomption d'innocence dans le cadre de la procédure pénale qui a abouti à leur condamnation.
Décision de la cour Sur l'article 10 de la Convention Après avoir rejeté l’exception du Gouvernement déduite du non-épuisement des voies de recours internes, la Cour a examiné le bien-fondé du grief. La Cour considère tout d'abord que la condamnation litigieuse s’analyse en une " ingérence " dans l’exercice par les intéressés de leur liberté d’expression. Ainsi que l’exige le paragraphe 2 de l’article 10, elle estime que l’ingérence était " prévue par la loi " et avait pour but de protéger la réputation et les droits d’autrui et d’empêcher la divulgation d’informations confidentielles. Elle doit donc examiner si ladite ingérence était " nécessaire ", dans une société démocratique, pour atteindre ces buts. Après avoir rappelé les principes fondamentaux qui se dégagent de sa jurisprudence, elle a recherché s’il existait en l’espèce des raisons pertinentes et suffisantes aux fins du paragraphe 2 de l’article 10 pour justifier la condamnation des requérants. La Cour ne trouve pas convaincante la thèse du Gouvernement selon laquelle l’information litigieuse ne soulevait pas de question d’intérêt général. La publication incriminée intervenait dans le cadre d’un conflit social, largement évoqué par la presse, au sein d’une des principales firmes automobiles françaises. L’article démontrait que le dirigeant avait bénéficié d’importantes augmentations de salaires à l’époque, alors que parallèlement il s’opposait aux demandes d’augmentation de ses salariés. Son but n’était pas de porter préjudice à la réputation de M. Calvet, mais plus largement de débattre d’une question d’actualité intéressant le public. Une ingérence dans l’exercice de la liberté de la presse ne saurait se concilier avec l’article 10 de la Convention que si elle se justifie par un impératif prépondérant d’intérêt public. Tout en reconnaissant le rôle essentiel qui revient à la presse dans une société démocratique, la Cour souligne que les journalistes ne sauraient en principe être déliés par la protection que leur offre l’article 10 de leur devoir de respecter les lois pénales de droit commun. Le paragraphe 2 de l’article 10 pose d’ailleurs les limites de l’exercice de la liberté d’expression. Il échet de déterminer si, dans les circonstances particulières de l’affaire, l’intérêt d’informer le public l’emportait sur les " devoirs et responsabilités " pesant sur les requérants en raison de l’origine douteuse des documents qui leur avaient été adressés. La Cour doit plus particulièrement déterminer si l’objectif de préservation du secret fiscal, légitime en lui-même, offrait une justification pertinente et suffisante à l’ingérence. Si la publication des avis d’imposition était en l’espèce prohibée, les informations qu’ils véhiculaient n’étaient plus secrètes. D’ailleurs, les salaires des dirigeants des grandes entreprises, tels que M. Calvet, sont régulièrement publiés dans des revues financières, et le second requérant a affirmé, sans être contesté, s’être référé à ce type d’informations pour vérifier l’ordre de grandeur des salaires de l’intéressé. Dès lors, la protection des informations en tant que confidentielles ne constituait pas un impératif prépondérant. Si, comme le Gouvernement l’admet, les informations sur le montant des revenus annuels de M. Calvet étaient licites et leur divulgation autorisée, la condamnation des requérants pour en avoir simplement publié le support, à savoir les avis d’imposition, ne saurait être justifiée au regard de l’article 10. Cet article, par essence, laisse aux journalistes le soin de décider s’il est nécessaire ou non de reproduire le support de leurs informations pour en asseoir la crédibilité. Il protège le droit des journalistes de communiquer des informations sur des questions d’intérêt général dès lors qu’ils s’expriment de bonne foi, sur la base de faits exacts et fournissent des informations " fiables et précises " dans le respect de l’éthique journalistique. En l’espèce, la Cour constate que ni la matérialité des faits relatés ni la bonne foi de MM. Fressoz et Roire n’ont été mis en cause. Le second, qui a vérifié l’authenticité des avis d’imposition, a agi dans le respect des règles de la profession journalistique. L’extrait de chaque document visait à corroborer les termes de l’article en question. La publication contestée servait ainsi non seulement l’objet mais aussi la crédibilité des informations communiquées. En conclusion, la condamnation des journalistes ne représentait pas un moyen raisonnablement proportionné à la poursuite des buts légitimes visés compte tenu de l’intérêt de la société démocratique à assurer et à maintenir la liberté de la presse. Il y a donc eu violation de l’article 10 de la Convention.
[paragraphes 40-56 des motifs et points 1 et 2 du dispositif] Sur l'article 6 § 2 de la Convention Selon les requérants, la présomption d’innocence aurait été doublement violée par les juridictions nationales. La Cour estime que, au vu du constat de l’article 10 et des éléments pris en compte pour arriver à ce constat, aucun problème distinct ne se pose au regard de l’article 6 § 2 de la Convention.
[paragraphes 57-60 des motifs et point 3 du dispositif] Sur l'application de l'article 41 de la Convention La Cour considère qu’il existe un lien de causalité entre, d'une part, le paiement de la somme de 10 001 FRF que MM. Fressoz et Roire ont été condamnés par la cour d’appel à payer à M. Calvet et, d'autre part, la violation de l’article 10 qu’elle vient de relever, de sorte que les intéressés doivent recouvrer cette somme. Il y a lieu donc d’octroyer le montant demandé. Le constat de manquement figurant dans le présent arrêt constitue par ailleurs une satisfaction équitable pour tout autre dommage. Au titre des frais et dépens, la Cour, statuant en équité et sur la base des éléments en sa possession , accorde aux intéressés 60 000 FRF.
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